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Jour 2 : Delhi, Porte de l’Inde |
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Avant d’y parvenir nous prenons notre première leçon : Old Delhi, adieu la sérénité de notre hôtel Ashok Country Resort aux jardins prometteurs, dont nous ne verrons que quelques buissons de bougainvilliers, faute de temps. Il en sera de même pour les autres merveilleux hôtels d’ailleurs, où nous nous reposerons au fil de notre traversée du Rajasthan. Notre groupe se déchausse consciencieusement (et nous achetons des chaussettes valables pour tout le séjour) avant la visite de la mosquée Jama Masjid (masjid : la mosquée en hindi, c’est la mosquée de la communauté des croyants, se réunissant pour la prière du vendredi). Construite par le fameux Shah Jahan (1644-1656), elle a nécessité 5000 ouvriers, et c’est la plus grande mosquée de l’Inde, toute en grès rouge. Elle n’est pourtant pas inscrite au patrimoine historique de l’humanité et semble bien fragile dans Old Delhi, grouillante d’activité, de klaxons, de chèvres et de moutons, de motos, de rickshaws…Nous ne sommes pas montés dans un minaret mais c’est certain, la vue sur Delhi doit y être impressionnante. On prie côté Ouest car la Mecque, vue de l’Inde, n’est pas à l’Est. Old Fort nous offre ses longues murailles rouges, protégeant une étendue de plus de 600 000 m2 où, à l’époque moghole, seuls les princes étaient autorisés à entrer à cheval. La visite de cette immense forteresse n’est pas pour aujourd’hui. Nous devrons y revenir par nous-mêmes, inch’Allah ! Ensuite, nous avons le loisir de traverser la ville à bord d’un cycle rickshaw, drivé par un homme malingre, exténué, et pourtant fier de nous trimballer comme des nababs. Il encore en capacité de faire la compétition avec les autres rickshaws, pédalant à perdre souffle pour jouer à qui arrivera le premier. La circulation est tout sauf sécurisante: se fraient un passage au milieu de nous en vociférant, les animaux, les enfants, les femmes en sari portant de lourdes charges, les motos, les bus et toutes sortes de charrettes, carrioles, et autres véhicules antédiluviens, klaxons fracassants, accompagnés de gens pressés. Nous sommes rapidement entourés de meutes de petits mendiants téméraires, défiant tous les dangers pour nous escorter, grimpant sur les bornes, les panneaux de signalisation, les feux, coupant les chaos des voitures anarchistes. Ils marchent pieds nus pour économiser les tongues qu’ils s’enfilent à leurs bras, se chamaillent, rient en se volant le moindre rebut pouvant servir de jouet, et finalement parviennent avant nous au restaurant de tandooris, prompts à nous réclamer encore une pièce, un chiffon, un bonbon. Ils se font chasser comme des moustiques par le guide et le chauffeur de notre car. Nous nous arrêtons au lieu de crémation de Ghandi, un moment d’émotion et de tranquillité, dans un jardin splendide. Vite, quelques souvenirs, des images qui reviennent, c’est l’Inde paradoxale qui ne cessera de nous interroger. La résistance non violente (la satyagraha), la tolérance, le respect de la vache (la mère de substitution de tous les hommes à cause de son lait. A ce propos l’Inde a demandé officiellement à la Grande Bretagne, au moment de la crise de la vache folle, de ne pas abattre les animaux malades mais de les exporter pour que le pays les protège. Les britanniques, conscients de leurs responsabilités face à une culture qu’ils connaissent bien, ont décliné l’offre poliment. Heureusement !), le végétarisme, la magnificence des palais, mais aussi les querelles venimeuses, les tueries, les vols, la saleté, la misère, les attentats politiques et ethniques…Que de contradictions, quel pays de contrastes ! La vérité, disait un poème soufi est comme le miroir d’un dieu , jeté à terre, et qui se serait brisé : chacun en possède un éclat… La visite du temple Sikh Gurdwara Bangla Sahi Sarovar nous oblige à nous coiffer d’un foulard orange du bel effet. Pieds nus dans cet impressionnant complexe religieux, aux dômes dorés, nous passons à travers la foule des fidèles assis tout autour d’un mausolée où un religieux psalmodie, vénérant le sacrifice d’un grand guru, décapité par un empereur moghol au XVII ème siècle, et créateur de la religion monothéiste la plus syncrétique de l’Inde : le sikhisme. Un vaste plan d’eau où s’approchent paisiblement des Kois, carpes géantes rouges et argentées, est clôturé par une double rangée de colonnades ombragées. Nous y prenons de beaux portraits de femmes et d’enfants, joyeux de se revoir sur nos écrans, posant à plusieurs reprises pour être bien certains de nous avoir confié leur meilleure image et que nous les retenions longtemps dans nos souvenirs . Des cuisines tenues par des bénévoles donnent des repas gratuits à tous, quelles que soient les religions. De riches sikhs s’agenouillent pour cirer les chaussures de pauvres malheureux. J’ai de la sympathie pour cette religion si généreuse et accordant aux femmes un statut inédit en Inde et par le monde, bien que je n’ignore rien des violences qui ont pu être perpétrées par ses adeptes. Mais en ce domaine, chacune des religions n’est pas exempte d’excès… Les sikhs respectent les 5 k : KARA ou bracelet d'acier est le symbole de la responsabilité et de la soumission à dieu. Il est porté au poignet droit. La forme circulaire représente l'éternité et la continuité des choses. KIRIAN ou poignard, petit sabre dont le port est garanti par la constitution. Il symbolise l'autodéfense et la lutte contre le mal et l'injustice dans le monde. Cette obligation, de même que celle du port du turban, ne sont pas sans poser quelques problèmes lorsque les Sikhs voyagent (en avion), ou souhaitent circuler (en moto) dans nos pays. En Grande Bretagne, une exception au port du casque a été accordée aux sikhs !! Au retour de la visite, je rencontre à nouveau la détresse : une femme aux doigts rongés par la lèpre me demande l’aumône et je me sens démunie. Les bras chargés de nourrissons sans lait et sans avenir, les femmes en sari rôdent à la recherche d’une roupie salvatrice. De notre côté, nous avons hérité d’un pouvoir d’achat considérable : 60 roupies pour un euro, nous sommes en possession d’une fortune ! J’ai l’âme qui flanche, je ne sais pas, je ne sais plus quoi penser. Il faut fermer les yeux, bâillonner son cœur, passer vite, je ne suis qu’une passante, une étrangère, et cette désespérance me traverse pourtant. Notre guide a beau nous prévenir, nous y croyons dur comme fer. Nous allons prendre l’orient express pour une nuit de lune à travers le Rajasthan !... Pas d’alcool à bord, de sinistres ventilateurs broient un air conditionné glacial au dessus de nos couchettes superposées sur lesquelles nous étendons nos draps propres. Nous avalons notre repas froid avec incrédulité. Qui n’a pas passé 13 heures dans un train indien, cahotant et se tortillant à travers la campagne n’a rien éprouvé de la vraie vie des indiens. Mode de transport privilégié, non pas à cause de sa rapidité mais certainement à cause du mauvais état des routes et des véhicules qui y circulent, le train charrie chaque jour des millions de voyageurs. Mais dans mon imagination, j’y voyais des gens sur le toit, ce qui n’est pas le cas ce soir, dans notre train de luxe. Un jeune homme passe sans cesse dans les étroites allées en criant « chai » (thé, le mot vient du chinois, et se retrouve d’ailleurs en portugais, un des premiers peuples à avoir « visité » la Chine, après Marco Polo), water…Je partage le compartiment avec, entre autres, un chercheur indien, spécialiste de l’agronomie. Un homme cultivé et sympathique, ouvert à la conversation. Nous apprenons de lui que la loi interdisant l’alcool dans les trains est déjà bien ancienne, que seuls les wagons sleepers appartiennent à la première classe, et qu’il existe 5 classes, dont la moins chère est accessible sans réservation et ne comporte que des sièges sans confort et sans ventilation. Par ailleurs, avec quelques roupies, on peut acheter le droit de fumer et même de déguster un rhum coca. La corruption est endémique en Inde, comme me l’avait déjà expliqué mon ami indien que je reverrai à Agra où il réside. Enfin, nous tirons les rideaux qui n’arrêteront pas de virevolter, et nous finissons par sombrer dans un sommeil entrecoupé de secousses, de frissons de froid et de transpirations, jusqu’à UDAIPUR, notre ville de destination.
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